Avec « Territoire Volontaire », les jeunes du 93 à la conquête du monde
- Leyla, Enzo et Amélie sont les heureux bénéficiaires du programme “Territoires Volontaires” dont la Seine-Saint-Denis a été lauréate en 2022.
- Tous trois ont pu, grâce à ces programmes, partir en service civique ou en volontariat de solidarité internationale (VSI) pendant plusieurs mois, à des milliers de kilomètres de chez eux, en étant accompagnés du point de vue administratif, logistique et financier.
« La Seine-Saint-Denis, carrefour des continents » : l’image fait rêver, le Département s’emploie à en faire une réalité. Deux fois lauréate des appels à manifestation d’intérêt « Territoires volontaires », lancés par France volontaire, la plateforme française du volontariat international d’échange et de solidarité, la Seine-Saint-Denis a bénéficié d’un accompagnement clé en mains pour construire des missions permettant, sur deux ans, le départ de huit services civiques à l’étranger et l’accueil d’un volontariat de solidarité internationale. Les deux premiers services civiques, Amélie et Enzo, sont revenus de leur mission au Maroc fin 2023. Originaire du Sénégal, Leyla, en volontariat de solidarité internationale, a rejoint les équipes du Département à Bobigny en janvier 2024 pour participer à l’organisation des JO.
Enzo et Amélie : au cœur de l’Histoire
« Faites-le ! Même si ça fait un peu peur, c’est une expérience incroyable, qui rassure sur le fait de voyager et qui permet d’ouvrir des portes pour plus tard. C’est vraiment trop cool ! »… Les paroles d’Amélie, originaire de Sevran, sortent du cœur. Volontaire de juin à décembre 2023 au sein de l’association Amuddu, au Maroc, l’étudiante en communication a été rejointe en septembre par Enzo, Montreuillois et titulaire d’un master de philosophie, dans une aventure qu’ils ne sont pas prêts d’oublier. Tous deux avaient candidaté sur la plateforme des services civiques, pour une mission en Asie proposée par l’association ADICE, sur qui le Département s’appuie en partie pour recruter et accompagner les jeunes durant leur séjour… . Les missions en Asie ne sont plus disponibles, mais l’association les rappelle pour leur en proposer une autre au Maroc. « Le descriptif de la mission m’a plu : on devait sensibiliser les jeunes à la cause environnementale, faire des activités avec eux. J’ai parlé avec une ancienne volontaire de cette association, et elle m’a convaincue », se souvient Amélie.
« Avant le départ, je me suis renseigné sur l’association Amuddu… puis on a suivi une formation avec l’association Adice, à Roubaix, avec d’autres volontaires, pendant deux jours », détaille Enzo. « Ils nous ont expliqué comment se passe un voyage à l’étranger, les états émotionnels par lesquels on peut passer, le mal du pays ». Grâce au programme “Territoires volontaires”, la prise en charge des services civiques est maximale : le billet d’avion est remboursé, le loyer est pris en charge, les volontaires sont indemnisés chaque mois. Ne reste qu’à payer la nourriture. Cette préparation accomplie, cap ensuite sur Taroudant, cette petite ville agréable, culturellement très riche, et sans pression.
Séisme
Du moins Amélie le croyait-elle. « A mon arrivée, en juin, un groupe de jeunes de l’association m’ont emmenée faire mes premières courses, m’ont fait visiter la ville. Il y avait des chantiers internationaux qui allaient commencer, alors on a préparé la maison pour accueillir les Européens qui arrivaient. Avec eux, on a réaménagé une école, repeint les murs, fait du jardinage… ». Mais le 8 septembre, la terre tremble dans l’Atlas, à quelques kilomètres seulement de Taroudant. C’est à ce moment que le service civique d’Amélie, et d’Enzo, qui la rejoint alors, prend tout son sens. « Le tremblement de terre a traumatisé tout le monde, les gens dormaient dehors, car leurs maisons étaient trop abîmées », se souvient Amélie. Les deux jeunes gens s’inscrivent dans le ballet solidaire qui s’organise alors. Supervisés par l’ONG World Central Chicken, ils déchargent d’énormes camions de denrées dans des pick-up chargés d’acheminer de la nourriture dans les villages de montagnes très touchés par le séisme. « La solidarité qui s’est mise en place à ce moment était très impressionnante », raconte Enzo. Amuddu ouvre alors ses portes à d’autres associations, médicales notamment. L’opération humanitaire dure trois semaines, mais ce souvenir prend aujourd’hui le pas sur les autres.
La vie reprend ensuite son cours, et Amélie, Enzo et d’autres volontaires doivent construire eux-mêmes leur projet. Ils s’organisent alors pour assurer des cours de langue, le soir, à destination des jeunes de l’association. « Mon but est de devenir prof de français à l’étranger. Je préparais des cours sur la base de jeux pour la quinzaine de jeunes femmes qui participaient. Ça m’a permis de développer mes compétences : construire un cours, m’exprimer devant un public, développer ma pédagogie », raconte Enzo. Amélie, elle, se charge des cours d’anglais. Outre les cours de langues, les volontaires proposent des activités en fonction de thèmes mensuels. « J’ai organisé un atelier autour du recyclage, où on a lu des textes sur l’écologie, qui n’est pas du tout un sujet là-bas, et ensuite, on a appris à faire du cellophane et des tote-bag réutilisables. On a aussi organisé des débats sur les questions d’égalité hommes-femmes », détaille Amélie. Des chantiers de nettoyage de la ville avec d’autres volontaires français et marocains favorisent les échanges interculturels. « Je me souviens notamment d’une soirée mémorable où on a écouté de la musique gnawa, on a chanté, dansé… » rêvasse Enzo. Sur leurs jours de congés, les deux volontaires visitent la région, et profitent de la côte proche pour surfer.
Partage
« L’accueil était hyper chaleureux, je n’ai jamais été reçue d’une telle façon. La culture du pays est très riche : musique, vêtement, nourriture, langues, il y a toujours des choses à découvrir, les habitants étaient très fiers de leur culture et désireux de la partager », juge la jeune femme. « La culture, la musique, la nourriture, la visite des villes historiques du Maroc… tout m’a plu. C’était aussi super de suivre les cours de darija (arabe dialectal marocain) de l’épouse du trésorier, une fois par semaine », trouve Enzo. Ils découvrent aussi des côtés plus sombres du pays. « En partant, j’ai eu le sentiment de les laisser dans une prison, alors que moi je peux circuler comme je veux. Là-bas, c’est très dur d’obtenir un visa, j’ai compris le luxe que représentait le fait d’être titulaire d’un « passeport rouge » », évoque-t-elle.
Ils en ressortent personnellement enrichis : « J’ai développé mes capacités à travailler en autonomie, à prendre confiance en moi. Au début, je pataugeais un peu dans la sauce, j’ai dû me débrouiller toute seule pour construire des choses », estime celle qui veut désormais s’installer au Maroc pour travailler dans la communication.
Découvertes
Peut-être Amélie et Leyla se sont-elles croisées sur le tarmac de Roissy. Pour cette Dakaroise de 24 ans, arrivée le 26 janvier 2024 à Paris, venir vivre un an en Seine-Saint-Denis toute seule, loin de sa famille, représente un combat périlleux. L’étudiante en sciences politiques était en stage au comité d’organisation des JO de la Jeunesse, qui auront lieu à Dakar, en 2026, lorsqu’elle a vu passer l’offre de volontariat international de solidarité. « Je voulais voyager, voir le monde… Ma mère m’a dit : vas-y ! Je suis déjà allée, pour le sport, en Grèce, au Maroc, au Japon ou au Ghana. Mais là, c’était une occasion en or pour participer aux JO », relate la jeune femme, par ailleurs championne de judo. Son installation dans le 93 est facilitée par la mobilisation des agents du Département, qui se trouvent être ses futurs collègues. Jusqu’en décembre, Leyla partagera son temps entre la direction Europe/International et la direction JOP du Département. « J’ai déjà commencé à travailler : j’actualise les fiches de coopération avec le Sénégal, je prépare le week-end Sénégal qui aura lieu le 27 et 28 juillet au parc Georges Valbon, j’ai suivi une formation au protocole, j’instruis les dossiers des associations avec la direction internationale », énumère-t-elle.
A l’œuvre depuis un mois et demi, elle a fait ses premières observations. « Ici, tout est très structuré, plus qu’au Sénégal. Les collègues sont très à l’écoute, il n’y a aucune hiérarchie liée à l’âge, alors que c’est très présent dans la société sénégalaise. Je m’adapte à ce système, c’est intéressant », estime la volontaire. Les découvertes ont aussi lieu en dehors des heures de travail… « J’apprends à connaître les mentalités françaises : à la cantine, j’ai une collègue qui mange végétarien pour réduire son émission de carbone, qui me parle de recyclage… des choses qui, auparavant ne m’avaient jamais traversé l’esprit. Mais je découvre aussi les côtés moins sympathiques : à l’arrêt de bus, il m’arrive de saluer les gens comme on le fait au Sénégal, et je me suis pris un nombre de vents incalculables », rigole-t-elle. L’expérience, qui ne fait que commencer, a déjà rempli ses objectifs : élargir sa vision du monde. Et après ? L’année prochaine, elle veut reprendre ses études, puis travailler pour Dakar 2026. « Ensuite, j’hésite entre faire une carrière à l’international et avoir une vie tranquille, un travail simple, fonder une famille… sans grands enjeux ». Du moment qu’elle vit les Jeux!
Une offre individuelle, plus professionnalisante
Sabrina Kehli, chargée de projets internationaux et d’animation territoriale au sein de la direction Europe/International et référente sur les questions de mobilité des jeunes à l’international, se réjouit de ces premières expériences. « Jusqu’à présent, nous proposions surtout de l’accompagnement pour des départs collectifs, courts, du type chantier international. Territoires Volontaires nous permet de proposer des solutions à des jeunes qui souhaitent prendre part à des expériences individuelles plus longues. En prenant en charge le transport international, l’hébergement, les frais d’installation, il s’agit d’un moyen concret de lever le frein- financier en l’occurrence- à la mobilité pour les jeunes de la Seine-Saint-Denis, mais aussi ceux qui sont dans la tête », détaille-t-elle. « Beaucoup de jeunes pensent qu’il faut avoir beaucoup d’argent pour partir à l’étranger, que ce n’est pas pour eux… Cette offre est sécurisante pour les jeunes parce qu’ils sont encadrés dans chacune de leurs démarches, ils n’ont pas à s’inquiéter de la manière dont ils vont se loger, se nourrir. On ne les lâche pas dans la nature, le contact est maintenu tout le long de la mission afin de s’assurer que tout va bien pour eux», poursuit l’agent.
« Nous sommes convaincus qu’une expérience à l’étranger marque le parcours d’un jeune. Ce dispositif est une chance car il leur donne l’opportunité d’une expérience professionnalisante qu’il pourront valoriser sur leur CV. Les retours des expériences menées jusque là confirment que la mobilité est un vecteur d’apprentissages multiples, d’épanouissement. Les jeunes qui sont partis sont revenus ravis, avec le sentiment d’avoir évolué sur le plan personnel comme sur le plan professionnel », constate Sabrina Kehli, qui a désormais un nouvel objectif : « convaincre les jeunes qui ont fait une première expérience de départ collectif réussie que ce genre d’expérience, c’est aussi pour eux ».
Elsa Dupré